Entretien avec Gilles COSTAZ

     Rencontre avec Mady MANTELIN

par Gilles Costaz

          Le souffle des auteurs

Gilles COSTAZ: Comment est née cette idée du « texte en scène » que vous avez imaginé et pratiquez ?

Mady MANTELIN: J’ai commencé le théâtre très jeune, puis j’ai arrêté pendant douze ans, je me suis consacrée au barreau. Quand je suis revenue, à l’âge de 35 ans, je n’appartenais plus à la « grande famille du théâtre » ! J’ai éprouvé l’envie de mettre en scène les textes eux-mêmes, qu’il s’agisse de romans, de poésie, d’essais, d’articles de journaux.

Dans cet esprit, mon premier spectacle, il y a vingt ans, s’appelait Liberté de Platon à Coluche : j’utilisais des textes de vingt auteurs et nous étions deux acteurs. J’avais écrit un argument pour relier tout cela : une trame où deux enfants allaient chercher ce qu’est la liberté. Mais je me suis vite souvenu de ce que Braque disait à ses élèves : « Gommez ! » Pour les spectacles suivants, j’ai gommé la situation, la justification par une situation traditionnelle, les accessoires. J’ai gardé le travail sur les lumières. Ce qui importe, c’est le texte à son endroit. En général, j’ai le livre en main. L’auteur est présent ! Parfois, je suis seule, ou nous sommes deux, ou plus…

J’ai fait des spectacles sur Hugo intime, Cézanne, Prévert, Yves Bonnefoy, René Char, Proust, Genet, Duras, Gilgamesh … L’un des plus difficiles, ce fut Genet. C’est très spécifique. C’est très écrit. Il ne faut pas peser, pas appuyer sur le sens.

D’autres artistes travaillent-ils dans le même sens que vous ?

Beaucoup de choses ressemblent à mes spectacles, mais ce n’est pas exactement la même démarche. Beaucoup d’acteurs disent des textes pour les présenter, les représenter. Des artistes comme Terzieff naguère, comme Dussollier et Luchini aujourd’hui. Mon approche est différente. Je veux faire entendre l’auteur, chercher le mouvement de la phrase dans le souffle de l’auteur, et non dans le souffle de l’acteur. Il faut écouter l’auteur et non lui parler, entendre la manière dont il a écrit son texte.

Comment vous sentez-vous à l’intérieur du monde du théâtre ?

Je me sens à la marge. Beaucoup de gens aiment ce que je fais mais j’ai l’impression de ne pas le partager avec assez de public. Quand je travaille dans des médiathèques, des musées, des librairies, je sais que mes spectacles provoquent l’envie de lire. C’est mon salaire : que les gens lisent davantage. Je pense aussi à des lycéens qui ne lisaient pas et n’aimaient pas Rimbaud. Mon spectacle Rimbaud les a changés. A la différence de la simple lecture avec les yeux, mon approche mène à entendre le rythme, la syntaxe, le sens la construction. Elle ouvre la route.

J’aime aussi beaucoup qu’on me passe des commandes. C’est ainsi que je vais dans des endroits où je ne serai pas allée. Sur un bateau dans le Grand Nord, ou dans une prison. Je travaille parfois avec des auteurs vivants : François Cheng, Françoise Xenakis, Jodorowski, Etel Adnan… C’est passionnant et redoutable !

Pourquoi donnez-vous à entendre, en ce moment, à la Vieille Grille, deux textes de Jules Verne ?

Ce n’était pas l’un de mes auteurs préférés. Mais j’ai eu à faire des lectures de Jules Verne à Cerisy-la-Salle, j’ai pu entendre des universitaires en parler : c’est un vrai poète. Par ailleurs, la Sorbonne m’a envoyé à Cluj, en Roumanie, pour un colloque et j’ai lu Le Château des Carpathes. De telle sorte que j’ai conçu un diptyque : Nemo, individualiste forcené , qui n’est pas un livre, mais un mythe dont j’ai tiré le fil dans plusieurs ouvrages, et « Le Château des Carpathes ». J’interprète les textes en compagnie d’une chanteuse, Teresa Medina. Quand je travaille avec un musicien, j’apporte le travail terminé et je lui demande de réagir. Il n’intervient pas pendant le montage du texte.

Quels projets ?

Beaucoup de projets avec mon association le Théâtre à deux voix : un nouveau « Gilgamesh », Ge Feï, quelque chose sur Sarah Bernhardt, un montage qui pourrait s’appeler « Et Dieu dans tout ça ? »… En fait, je fais travailler les deux hémisphères du cerveau : le cerveau droit qui correspond à la passion, le cerveau gauche qui est plus rationnel.

Nemo, individualiste passionné et Le Château des Carpathes de Jules Verne (en alternance), jeu et mise en scène de Mady Mantelin, accompagnée de Teresa Medina (soprano), musique de Pierre Naffah.